jeudi 10 juillet 2008

Ma mère s’appelle Ingrid

Dépêche agence de presse - juillet 2008.
Après six années aux mains des Farc, Ingrid Betancourt a été libérée, opération militaire ou rançon, la Radio Suisse Romande parle d’une récompense de 20 millions de dollars pour la libération de la Franco-Colombienne et des quatorze otages.

Ma mère s’appelle Ingrid

Sur mon pied nu, je ne sais plus si c’est la pluie qui tombe ou les larmes de papa. Il ne s’arrête plus de pleurer, il tousse aussi. Maman est partie. Papa dit que c’est grâce à son départ que je vais pouvoir aller en Californie pour faire des études dans de très belles écoles. Fini les classes avec Alfonso dans la forêt. Je ne comprends pas tout ce qu’il m’explique. Il s’en aperçoit. Alors, il me prend la tête entre ses mains, me regarde fixement et me dit : Manuel, il ne faudra jamais oublier ta mère, mais aussi il ne faudra jamais la revoir... tu m’entends... jamais la revoir... Demain, nous partons pour Carmel en Californie commencer une nouvelle vie.
Jamais revoir maman... pourtant, je la vois encore avec ses longs cheveux noirs. Jamais je ne l’ai vu triste toujours heureuse avec papa. Sauf une fois peu-être quand papa avait une caméra et maman est restée assise sans rien dire, un long moment, une éternité pour moi. Elle ne nous regardait pas elle regardait la terre. J’ai eu peur ce jour-là. Mais papa m’a rassuré et m’a dit que c’était juste pour de rire, juste pour la télé. C’est quoi la télé ? C’est pour de rire... Comme pour tout effacer, on est allé se baigner dans le fleuve, le soir au coucher du soleil quand les moustiques attaquent...
Ils sont trois et volent autour de sa tête. Raoul les frappe en se boxant le visage. Il se réveille en sursaut et en sueur, dans son camping-car. Il secoue Gisèle qui dort.
Putain chérie j’ai fait un affreux cauchemar, j’ai rêvé que j’étais dans la jungle colombienne. J’avais 4 ans, j’étais mouillé, accroché à la main de mon père qui pleurait assis dans la boue parce que maman était partie.
Et alors ?...
Et alors ma mère c’était Ingrid Betancourt...
Là, chéri, je crois vraiment qu’il faut que tu réduises tes doses de 51...
Oui, tu crois ?
Oui, ce sera ta révolution à toi... Allez dors !

Jean Valles